Degré 8 : A vau l'eau
J’ai mis un
jeton dans la machine.
Derrière la
vitre, les gens sortent du métro en courant. Ils s’engouffrent dans le tram qui
les emportera chez eux. C’est une tache jaune au milieu du gris. Les portent se
referment. On lâche les freins. Les roues vont gravir la dure pente le long des
rails, sans glisser. Des étincelles s’échappent des fils électriques. Un bruit
de ferraille fait trembler les pavés lisses.
Il ne reste
plus personne. La vague humaine est passée. La rue est seule. Seule avec ses
maisons. Une grande bâtisse n’a plus de toit, plus de fenêtres. Elle est
désormais habitée par le vent et la pluie. Sa façade raconte pourtant des
histoires incroyables et pleines de vie. Le balcon rouillé pleure son passé.
Comme ces jours où des petits pieds nus venaient le caresser et trébucher dans
l’insouciance. Puis des pieds à talons accouraient pour relever les petits et
les consoler. Et ils partaient tous les quatre, rassurés.
Quelqu’un
frappe à la baie vitrée. Non, c’est la pluie. Ici, il fait chaud et je suis au
sec. La machine gargouille à côté de moi.
Une
marchande d’escargot tire sa charrette à bras. Elle est courbée par le vent. Si
elle vendait des glaces, peut-être y aurait-il du soleil. Les lampadaires
viennent de s’allumer. Des filets d’eau traversent leur cône de lumière. Comme
des cordes. Droites et fines. La rue devient jaune. Les briques oranges. Une
cheminée expulse des tourbillons de fumée. Deux parapluies pressés traversent.
L’un d’eux s’est retourné. Il ressemble à une fleur noire. Un iris de
poussière.
La machine
commence à vibrer. C’est le seul bruit de la pièce. Un bruit qui rassure.
Un klaxon
nerveux passe devant des pneus qui crissent. Une sirène bleue déboule. Dans les
trous du bitume, des gerbes d’eau brune se soulèvent. La nuit est vraiment
tombée maintenant. Crachée des cumulonimbus. Les nuages forment une voûte
épaisse au-dessus de Bruxelles. Elle leur donne une couleur orangée et
glaciale.
Un déclic
retentit. Le voyant rouge de la machine s’est éteint. J’ouvre le hublot et je
sors mon linge. Inutile de le sécher. Dans ma maison sans toit, il n’y a plus
d’armoire pour le tenir au sec.